TARTARAS
D'après les actes paroissiaux 1673-1792

 

V. Le mariage et la famille à Tartaras.

Les registres de Tartaras ne renferment que 361 mariages, mais bien sûr, on allait aussi se marier dans tous les environs et même à Lyon.

Certes les actes n'ont pas à exprimer des sentiments, mais nous savons que la conception du mariage et du couple n'était pas, à l'époque, tout à fait la même que la nôtre aujourd'hui, loin de là ! L'amour n'était pas la valeur première et indispensable pour se marier. Le couple était bien différent de ce que nous connaissons de nos jours. La femme dans les actes apparaît toujours dans l'ombre de son mari et ne paraît avoir d'identité véritable qu'en tant que femme ou veuve de… De divorce, bien sûr, il n'était pas question, seule la mort d'un conjoint pouvait libérer des liens du mariage, mais elle pouvait survenir bien plus tôt qu'aujourd'hui !

Le mariage avait pour but essentiel la procréation d'enfants qui assurait la pérennité de la famille au sens large du terme, aussi toute contraception était interdite… et la stérilité était une malédiction. Il fallait avoir des enfants et en plus grand nombre possible, surtout en un temps où, nous le verrons, la moitié disparaissait avant d'avoir atteint l'age de cinq ans. Mais le couple et la famille étaient aussi la cellule de base de la vie économique surtout dans une civilisation rurale et le mariage était en outre l'union de deux héritages présents ou futurs. Aussi, choisissait-on le plus souvent pour ses enfants un conjoint dans le même secteur d'activité que celui de la famille. Les intéressés avaient-ils seulement leur mot à dire ? Peut-être, mais de toute façon ils devaient, pour se marier, être "autorisés" par leurs parents. Nous constatons que, souvent, le mariage de tel garçon intervenait, avec l'autorisation de sa mère, juste après le décès de son père : le moment était arrivé pour lui de reprendre, avec sa part d'héritage, le flambeau de la famille. Majeur et établi le garçon pouvait cependant être "libre de ses droits".

Si le rôle premier de la mère était de mettre au monde et élever des enfants, elle participait étroitement au travail de son mari si bien que pour une famille, on parlait de gens de labeur, de journaliers ou de laboureurs au pluriel.

Et si l'un ou l'autre du couple venait à mourir, le remariage se faisait urgent pour la survie économique de la famille. Dans mon arbre j'ai un ancêtre qui s'est ainsi marié quatre fois avant que la quatrième épouse lui survive enfin, et il ne s'appelait pas Barbe-Bleue !

A quel âge se mariait-on à Tartaras ?

Seuls 94 actes sur 361, et parmi les plus récents, soit à partir de 1748, indiquent l'âge des mariés, nous connaissions ainsi l'âge de 91 garçons et 90 filles (certains actes ne donnent que l'âge de l'un d' eux…) Même en nombre réduit, ces actes nous donnent cependant une précieuse indication sur la pratique générale.

L'âge le plus bas trouvé est de 20 ans pour les hommes et 14 ans pour les femmes, l'âge le plus élevé est de 57 ans pour les hommes et 46 pour les femmes.

L'âge de la majorité étant à 25 ans, nous trouvons pour les garçons 9 mariages avant cet âge et 52 mariages entre 25 et 30 ans, tandis que pour les filles, nous trouvons 39 mariages avant 25 ans et 31 mariages entre 25 et 30 ans. Il semblerait donc que les garçons attendent la majorité et parfois le décès du père pour se marier tandis que les filles convolent facilement avant l'âge de la majorité.

Entre 31 et 35 ans, nous trouvons 17 mariages d'hommes et 13 mariages de femmes et, après cet âge, 13 mariages d'hommes et 7 mariages de femmes, il s'agit là principalement de veufs. Si nous regardons maintenant la différence d'âge entre les époux, nous avons sur 91 mariages, 66 mariages d'hommes plus âgés que leurs femmes, 19 mariages de femmes plus âgées que leurs maris et 6 mariages où les époux ont le même âge.

Pour les 66 mariages d'hommes plus âgés, nous avons une différence d'âge de 1 à 5 ans dans 32 mariages, une différence de 6 à 10 ans dans 20 mariages, une différence de 11 à 15 ans dans 7 mariages et un mariage où l'écart est de 20 ans !

Pour les 19 mariages de femmes plus âgées, nous avons une différence d'âge de 1 à 3 ans pour 12 mariages et une différence de 5 à 10 ans pour 7 mariages.

De tous ces chiffres, nous pouvons conclure qu'il n'était pas toujours tenu compte de l'âge dans le choix des conjoints, d'autres critères notamment d'ordre économique, comme nous l'avons déjà souligné, entrant en ligne de compte.

Nous avions aussi affirmé que le remariage était une pratique courante pour les mêmes motifs et cela se vérifie dans les chiffres puisque sur les 361 mariages de Tartaras il est indiqué que 30 garçons étaient veufs et 27 filles étaient veuves.

A quel mois de l'année se mariait-on ?

C'est en hiver principalement que l'on se mariait. Le mois de février arrive en tête avec 138 mariages sur 361, suivi du mois de janvier avec 101 mariages et du mois de novembre avec 39. Curieusement, on ne trouve que 2 mariages en décembre… était-ce en raison de l'Avent ? Pendant les mois de printemps, les mariages sont beaucoup moins nombreux, nous en trouvons 12 en mars, 11 en avril et 11 en mai. Pour mars et avril, le Carême intervenait certainement les relations entre époux étant interdites pendant ce temps de pénitence, mais, au printemps, le travail de la terre reprenait aussi…

En été et au début de l'automne, les mariages sont aussi peu nombreux, 12 en juin, 16 en juillet, 5 en août, 7 en septembre et 6 en octobre. C'était aussi des mois d'intense activité agricoles avec les foins, les moissons et les vendanges.

Regardons maintenant les naissances.

Le rythme des naissances à Tartaras n'échappait pas à ce que nous connaissons par ailleurs. Tous les généalogistes que nous sommes ont constaté que la première naissance intervenait généralement neuf mois environ après le mariage (les relations préconjugales étant proscrites) et par la suite environ tous les deux ans. Toute contraception étant interdite, seule la nature et les prescriptions de l'Eglise de la Contre-Réforme intervenaient dans le rythme des naissances. Les relations conjugales étaient proscrites pendant la durée de l'allaitement maternel, période où la femme serait stérile.

Les actes, bien sûr, ne disent rien sur les fausses couches qui, étant donné le dur travail des femmes, ne devaient pas être rares…

Le nombre de naissance par famille est aussi très important, seuls la ménopause la maladie ou le veuvage pouvant y mettre un terme.

A Tartaras, sur les 1.574 baptêmes recensés, 1.193 enfants appartenaient à des couples de quatre enfants et plus, puisque nous avons :
1 famille de 14 enfants, 2 de 13 enfants, 2 de 12 enfants, 5 de 11 enfants, 9 de 10 enfants, 21 de 8 enfants, 33 de 7 enfants, 28 de 6 enfants, 28 de 5 enfants et 25 de 4 enfants. Nous remarquons que ce sont les couples de 7 enfants qui sont les plus nombreux. Nous parlons de couples car les familles, par remariage des parents, pouvaient être encore bien plus nombreuses.

Sur les couples recensés avec moins de quatre enfants, cela concerne 181 enfants, il y a les couples qui ont pu avoir des enfants avant ou après la période que nous étudions, des couples de passages et certainement des couples de remariés. Mais il est intéressant de remarquer qu'il y a aussi parmi ces parents avec peu d'enfants recensés, un nombre assez important de gens non propriétaires et qui sont voituriers (15 couples), grangers ou fermiers (17 couples), journaliers (14 couples), gens de labeur (4 couples), au service (4 couples), artisans ou marchands (10 couples), éclusiers (3couples)… Je ne pense pas qu'il faille penser que tous ces couples avaient moins d'enfants que les autres, mais plutôt que, non attachés à la terre, ils n'exercèrent qu'un temps, entre deux déménagements, leurs métiers à Tartaras et n'eurent là qu'une partie de leurs enfants…

Si nous regardons maintenant les 1.572 naissances dont nous savons les mois, et que nous classons les mois selon le nombre de naissance, nous trouvons :
1 Janvier : 186 naissances
2 Mars : 158
3 Avril : 150
4 Novembre : 145
5 Février : 135
6 Mai : 133
7 Juillet : 122
8 Octobre : 120
9 Décembre : 118
10 Septembre : 106
11 Août : 105
12 Juin : 94

Mais il ne semble pas que nous puissions tirer grand chose de cette répartition, même pour l'organisation du planning des baptêmes de Monsieur le curé ! Certes il y a eu deux fois plus de naissances en janvier qu'en juin, mais les mois de mai et juillet sont assez importants. Si vous osiez pénétrer le secret des alcôves des parents, si tant est qu'ils en avaient une (!), pour savoir quels mois ces enfants avaient été conçus, je vous laisse le soin de soustraire les neuf mois de rigueur ! Vous verriez ainsi qu'il y eut deux fois plus de conceptions d'enfants en mai qu'en avril, serait-ce à cause du carême ?

Un mot sur le parrainage.

Le baptême était administré le plus tôt possible, le jour même ou le lendemain de la naissance, à cause d'une mort toujours possible, nous y reviendrons dans le chapitre suivant… Nous autres, généalogistes, nous savons que les parrains et marraines étaient surtout choisis dans la famille : grands parents pour les aînés puis les oncles et les tantes et enfin, dans les familles très nombreuses, les frères et sœurs aînés. Nous savons aussi que le choix du parrain et de la marraine pouvait se porter sur un haut personnage honorant ainsi la famille et assurant l'avenir du filleul. Le prénom donné à l'enfant est celui du parrain pour les garçons et des marraines pour les filles.

Pour illustrer cela prenons encore l'exemple de la famille de Jean BRET et de Jeanne LAURENSON qui eurent au moins 13 enfants : 7 garçons et 6 filles. L'aînée, Pierrette, porte le prénom de sa grand mère maternelle Pierrette GONARD sa marraine, son parrain est Estienne BRET son grand père paternel. Philippe, le second porte le prénom de son grand père maternel Philippe LAURENSON, son parrain, sa marraine est sa tante Philippa DREVET femme d'Antoine BRET, car sa grand-mère paternelle, Marie PINAY, était alors décédée. Pour Antoine, Estienne, Philippa nous avons des oncles et tantes, pour Jean-Marie et Jeanne des frères et sœurs. Mais parmi les parrains et marraines de Charlotte, Catherine-Thérèse, Laurent et Estienne nous trouvons Messire Jean PAYOT seigneur de Soucieu, conseiller du roi et trésorier de France, Demoiselle Charlotte DUPRÉ, fille de feu Noble Jacques Seigneur du SOLEIL, Messire Antoine DUPRÉ prêtre chevalier de l' Eglise de Lyon, Demoiselle Catherine du SOLEIL de St Didier sous Riverie, Messire Pompone de Riverie, Chevalier de St Jean de Touslas, la Mouchonnière, St Romain en Gier et Echalas, Dame Claudine ROMANS femme de Michel de RIVOYRE Chevalier, Messire Estienne ROY, prêtre habitué à St Paul de Lyon… Mais nous savons que le Sieur Jean BRET était particulièrement soucieux de promotion sociale ! Quant aux autres enfants, Marguerite et Ennemond, leurs actes n'ont pas été trouvés. Jean BRET et Jeanne LAURENSON furent aussi, étant donné leur aisance, souvent choisis comme parrain et marraine à Tartaras.

Jetons maintenant un petit coup d'œil curieux sur les prénoms.

Comme les prénoms étaient ceux des parrains et marraines le plus souvent membres de la famille, les actes de Baptêmes à Tartaras, comme certainement ailleurs, n' en présentent pas un très grand choix, le prénom des grands-parents, en particulier, se retrouvant chez tous les cousins.

Essayons, par simple curiosité, d'établir la liste des 37 prénoms les plus utilisés (au moins 10 fois). Dans 1.574 baptêmes des actes de catholicité, ces 37 prénoms sont donnés à 1.314 enfants sur 1.574, c'est dire qu'ils reviennent assez souvent !
1 : Jeanne (127 fois)
2 : Antoinette (103 fois )
3 : Jean (102 fois)
4 : Antoine (91 fois)
5 : Pierre (68 fois) c'était le saint patron de la paroisse de Tartaras…
6 : Claudine (61 fois)
7 : Marie (57 fois)
8 : Jeanne-Marie (54 fois)
9 : Philippe (50 fois, donné aussi à des filles)
10 : Claude (49 fois)
11 : Pierrette (48 fois)
12 : Benoîte et Françoise (35 fois chacune)
13 : François (34 fois)
14 : Etienne (33 fois)
15 : Jean-Marie (27 fois)
16 : Benoît et Jean-Baptiste (26 fois chacun)
17 : Jean-Antoine (22 fois)
18 : Etiennette et Catherine (20 fois chacune)
19 : Simond et Anne (19 fois chacun)
20 : Guillaume (18 fois)
21 : Jean-Pierre (17 fois)
22 : Jacques (16 fois)
23 : Marie-Anne et Jean-Claude (15 fois chacun)
24 : André (14 fois)
25 : Louise et Jean-François (13 fois)
26 : Jacqueline, Marguerite et Charles (12 fois chacun)
27 : Philippa (11 fois)
28 : Laurent et Barthélemy (10 fois chacun).

Pour les prénoms composés, notons que si Jean-Marie et Jeanne-Marie apparaissent très tôt, les autres sont plus tardifs et composés surtout avec Jean pour les garçons et Marie ou Jeanne pour les filles.

Quel genre d'éducation pouvaient recevoir les enfants ?

Les enfants ne devaient pas être l'objet de la très grande affection que nous voyons aujourd'hui, et nous pouvons supposer qu'ils étaient employés dès que possible aux tâches familiales et que leur éducation était assez rude et. A défaut de renseignements dans les actes, lisons dans un Hors-Série de la revue française de Généalogie portant sur la naissance du XVI° au XIX° ce qu'écrit Chantal Cosnay :

"A la campagne, le modèle d'éducation paraît infiniment plus rude (qu'en ville), la mère campagnarde traîne ses enfants dans la cour, au jardin, à l'étable, aux champs, tout en essayant de leur éviter les coups de sabot des bêtes ou le tranchant des outils. Très tôt, l'enfant participe aux travaux de tous, dans la maison et en plein air. Dès l'âge de cinq ans, le petit campagnard commence à apprendre son métier de paysan à travers de multiples tâches : garder les vaches ou les chèvres, enlever les ordures, nourrir les poules, les cochons et le chiens, ramasser et casser du petit bois, ramasser les œufs dans la paille ou dans les trous où nichent les poules, chercher de l'eau à la rivière, arracher les mauvaises herbes, planter et biner les salades, ramasser et trier les pommes de terre par tailles, enlever les cailloux dans les champs pour faciliter le labour, cueillir des baies, des noisettes et des mûres, mener les vaches au champ avec le chien en veillant qu'elles n'aillent pas dans le champ du voisin, remplir l'abreuvoir pour le retour des vaches, rapporter le seau de lait de l'étable à la cuisine, ramasser la litière sur les talus, retourner le foin avec les grands ; pour les filles : broder, surveiller les plus petits, mais aussi garder les vaches, les oies et aider au jardinage, à la cueillette des fruits… Les enfants représentent ainsi déjà une main-d'œuvre essentielle. Une foule d'occupations modestes et quotidiennes lui apprennent à s'intégrer progressivement dans le monde des adultes."

Remarquons, en terminant, que tout ce qui est décrit dans ce chapitre sur la famille était encore le fait d'un passé assez récent, les moins jeunes d'entre nous peuvent en témoigner ! Nous mesurons quels changements de civilisation et de culture, osons les mots, se sont opérés dans la deuxième partie de notre XXe siècle.

Marc ROCHET