TARTARAS
D'après les actes paroissiaux 1673-1792

 

VI. La mort à Tartaras.

Comme partout à cette époque, la mort était omniprésente à Tartaras…

L'espérance de vie était réduite même si quelques sujets, sans doute exceptionnellement résistants, parvenaient à un âge déjà avancé, et la mortalité infantile était, là comme ailleurs, très importante.

Aussi pouvons-nous penser que la mort, même si elle était bien un malheur, ne devait pas avoir le même retentissement qu'aujourd'hui sur l'émotivité et la sensibilité de nos ancêtres des XVII° et XVIII° siècles. La mort faisait partie du proche horizon, il était difficile de s'en distraire et de l'oublier.

Aujourd'hui la mort d'un enfant est ressentie plus cruellement encore que celle d'un adulte car l'enfant a une place dans nos sociétés européennes qu'il n'avait jamais connu par le passé, l'enfant est roi, un roi qui parfois tyrannise même ses parents !... Mais à l'époque mettre un enfant au monde, c'était mettre au monde un être qui n'avait qu' une chance sur deux de parvenir à l'âge adulte. Si un enfant mourait, un autre viendrait bientôt le remplacer et sa mort faisait partie des probabilités ordinaires. Enfin, avant qu'il ne parvienne à prendre sa place dans l'économie de la famille en lui apportant l'aide de ses bras, l'enfant n'avait pas une grande importance sociale.

Les enfants qui mouraient en nourrice étaient, comme les autres, enterrés aussitôt et donc en l'absence de leurs parents qui n'apprendront probablement que plus tard le décès, les communications, même pour franchir une trentaine de kilomètres n'étaient pas rapides… Ces parents n'auront pas eu l'occasion de s'attacher à leur progéniture dont ils s'étaient séparés dès la naissance.

Ce chapitre sur la mort est, comme il est bien naturel, le dernier de notre approche des gens de Tartaras à travers les actes d'avant la Révolution. Un chapitre sur la mort n'a pas vocation à être très gai… mais celui-là va être particulièrement triste, tellement "la grande faucheuse" faisait tôt sa moisson !

Sur 1.293 sépultures, nous pouvons dénombrer 584 décès d'enfants jusqu' à dix ans : Proportion énorme, près de la moitié ! Aussi, répétons-le, la mort d'un enfant en bas âge pouvait être hélas considérée comme banale et familière.

Nous avons 285 décès pendant la première année, 101 à un an et 61 à deux ans, ces chiffres comprennent les 157 enfants en nourrices jusqu'à deux ans et montrent qu'un enfant en nourrice n'avait finalement pas plus de "malchance" de mourir qu' un autre enfant né à Tataras. Il est vrai que les enfants en nourrice arrivés à Tartaras avaient déjà échappé à la mort dès leurs tous premiers jours.

Les causes de cette mortalité d'enfants en bas âge ne sont pas données par les actes, sauf un ou deux cas de noyade, mais nous pouvons bien les imaginer étant données les conditions d' hygiène, la promiscuité avec le monde animal, la pollution de l'eau (1) . Il y avait aussi des causes alimentaires avec un lait souvent partagé et une nourriture mal adaptée lors du sevrage. Et puis il y avait toutes les maladies auxquelles les petits résistaient moins que les grands…

Le baptême à l'église aussitôt après la naissance et par tous les temps ne devait pas non plus prémunir les nouveaux-nés contre des coups de froid mortels ! Il fallait vraiment qu'il fasse trop mauvais pour que le baptême soit différé. Nous trouvons ainsi, le baptême différé (trois jours après sa naissance !) de Philippa BRET à cause du vent trop fort fin octobre, mais c'est l'unique cas rencontré…

Le trente octobre mil sept cent cinq fust baptisée Philippe BRET fille à Jean BRET mosnier des molains Glatard et a Jeanne LAURENSON son épouse né du vingt sept dudit mois et an que dessus * Son parrain a esté Mr Pierre BRET satianire demeurant à Lyon sa marraine Philippa GONARD femme de Mr Annet BODRAN qui n'a scu signer de ce enquise. * et n'a pu estre baptisée laditte BRET plus tôt à cause de l'impétuosité du vent qui l'aurée pu sufoquer
FERRY Curé.
(Photo 281)

Quand les enfants étaient ondoyés, c'est-à-dire que le baptême était réduit au simple rite de l'eau ("onde"), les cérémonies complémentaires étant remises éventuellement à plus tard, ce n'est pas pour raison de mauvais temps, mais simplement pour raison d'urgence, le nouveau-né n'étant pas absolument viable. Il fallait que les enfants soient baptisés au plus tôt car on pensait que, sans baptême, l'enfant mort ne pouvait aller au paradis. Comme on ne pouvait pas quand même admettre que ces enfants soient voués à l'enfer, des théologiens avaient inventé pour eux les "limbes", lieu intermédiaire ! Triste théologie, ayant cours, il n'y a encore pas si longtemps, qui faisait davantage du baptême un sacrement pour la mort que pour la vie…

Retournons à nos registres.
A Tartaras on mourrait hélas tous les mois de l'année. Voici la répartition des décès :
Janvier : 169 ; Février : 132 ; Mars : 136 ; Avril : 97 ; Mai : 84 ; Juin : 57 ; Juillet : 87 ; Août : 124 ; Septembre 126 ; Octobre : 124 ; Novembre 81 ; Décembre : 86.

Nous avons donc un pic de mortalité en janvier qui se prolonge en février et en mars, le froid doit en être la cause, mais notons que novembre et décembre sont les mois de plus basse mortalité. De même à la fin de l'été et au début de l'automne, août septembre et octobre sont des mois de nombreuses funérailles... Pourquoi ?...

A Tartaras, on mourrait à tous les âges, mais, comme ailleurs, encore beaucoup dans les premières années de la vie, passé le cap des deux ans. A trois ans, nous trouvons 30 décès puis 34 à quatre ans, 22 à cinq ans, 16 à six ans, 14 à sept ans, 9 à huit ans, 6 à neuf ans et 6 à dix ans. Passées les deux premières années de la vie, la mortalité infantile décroît donc assez vite. Entre onze et vingt ans, nous trouvons 57 décès et entre vingt-et-un et trente ans, 47 décès, toujours sur 1.293 sépultures recensées. Entre trente et un et quarante ans, nous trouvons 50 décès et 88 décès entre quarante et un et cinquante ans. Entre cinquante et un et soixante ans, nous trouvons 80 décès et 111 entre soixante et un et soixante-dix ans. Entre soixante et onze et quatre-vingts ans, nous avons 82 décès et ensuite 38 jusqu'à quatre-vingt-quinze ans et un à cent trois ans !

Mais nous savons que les âges marqués sur les registres sont très souvent approximatifs et arrondis aux chiffres en 5 et surtout en 0. Ainsi nous avons pour les adultes 10 décès à 25 ans, 13 à 30, 14 à 35, 38 à 60, 17 à 65, 54 à 70, 19 à 75, 27 à 80.

De tous ces chiffres, nous pouvons conclure que l' âge où les adultes mouraient le plus souvent était autour de 70 ans, puis autour de 50 et 60 ans, enfin autour de 80 : Cela peut paraître précoce à notre époque où l'age de la mort est, depuis peu, très retardé mais pour l'époque, étant données les conditions de vie, les accidents d' un travail jusqu'à un âge très avancé, cela ne semble pas excessivement jeune.

Nous n'avons pas fait de recherches sur la mortalité des femmes par rapport à celle des hommes, mais nous avons été surpris de ne rencontrer qu'un cas de mère morte en couche alors qu'il se dit très souvent que l'accouchement et la fameuse fièvre puerpérale étaient une cause importante de mortalité féminine.

Le premier novembre mil six cent huictante deux est décédée Geneviesve DUSIGNE femme de Benoist VINCENT m° masson et charpentier du bourg de Dargoire paroisse de St Pierre de Tartaras aagé d'environ trente trois ans dans son accouchement et a esté ensevelie avec son enfant qui a esté ondoyé par M° DENUZIERES M° chirurgien de Tresves qui fist sur ladite deffunte par necessité urgente l'oppération césarienne. Le second dudit mois par moy curé dudit lieu soubsigné en présence de son mary et autres soubsignés.
C. BALLAS BARREYRE Curé.
(Photo 104)

Avant de clore ce chapitre, disons un mot des jumeaux.
Leur chance de vie était encore plus aléatoire, mais tous ne mourraient pas à la naissance. A Tartaras nous comptons, sur la période étudiée, 9 cas de jumeaux, un cas de triplé et un cas de quadruplées. Sur les 18 jumeaux, 9 meurent peu de temps après leur naissance, 4 autour d'un an, mais 5 semblent survivre. Les triplés, trois garçons de Guilhaume JARROSSON et Huguette FAURE (appelée Agatte en la circonstance) sont morts à la naissance :

Le vingt huit janvier mil sept cent trois Agatte FAURE femme à Me Guilhaume JARROSSON praticien de Tartaras acoucha de trois garsons qui furent enterrés audit Tartaras par moy curé subsugné le vingt neuf dudit mois et an que dessus et ce en présence de Jacques MERLE et Noel FAIOLLE qui n'ont scu signer de ce enquis.
FERRY Curé.
(Photo 271)

Quant aux quadruplées, l'une meurt "sur la mère", et les trois autres ne survivront pas plus de quelques heures après leur baptême à l'église. Lisons leurs actes et nous n'aurons pas à faire un gros effort d'imagination pour sentir le vent de panique qui a dû saisir cette famille de Hugues CONDAMIN tailleur d'habits et marchand d'étoffe. La naissance intervient la nuit en plein mois de janvier, il ne devait pas faire très chaud, les voisins et voisines sont appelés à la rescousse pour le parrainage, le jour levé on mène les enfants, probablement emmitouflés dans des tissus du magasin paternel, à l'église qui n'est pas tout à côté : le Bourg de Dargoire est dans la vallée du Lozange, et l'église St Pierre située là-haut, au cœur du bourg de Tartaras…

Naissance de quatre filles jumelles et baptême de trois d'icelles. Note pour servir aux actes suivants, leur être commun et abrégé. Le seize janvier mil sept cent quatre vingt deux avant le jour, Antoinette GIRARD femme de Hugues CONDAMIN marchand d'étoffes et tailleur d'habits au Boug de Dargoire parroisse de Tartaras a accouché de quatre filles, dont les trois premières venues au monde selon l'ordre suivant ont été portées par les voisins cy dessous et baptisées dans l'église et par moi soussigné curé dudit Tartaras et dans la même matinée, et dont la dernière mourut sur la mère.
1° Barbe CONDAMIN fille légitime des mariés CONDAMIN et GIRARD est née et par moi soussigné curé dudit Tartaras a été baptisée lesdits jour mois et an entre les mains d'Aimé PALLUIS cordonnier et de Delle Barbe DONNET épouse du Sr Jean BEAUJOLIN marchand à Dargoire, laquelle a signé cy dessous.
2° Marie CONDAMIN fille desdits a été baptisée en même temps par le curé soussigné entre les mains de Jean Baptiste DANNIS soussigné et de Marie BORNY sa mère qui n'a signé pour ne savoir de ce enquise.
3° Simone fille légitime des mêmes mariés CONDAMIN susdits a été baptisée par moi soussigné ledit jour 16 janvier 1782 et tenue sur les fonts par Antoine DANNIS boucher audit Dargoire soussigné et par Simone VINCENT femme de François TORGUES boulanger audit bourg, laquelle n'a signé pour ne savoir enquise. Tous les parrains et marraines présents auxdits actes et dont ont signé ceux qui l'ont scu.
Antoine DANIS Jean Baptiste DANIS Barbe DONNET AUQUIER Curé.
(Photo 347)

Enterrement de trois filles jumelles Lesdites trois filles jumelles Barbe, Marie et Simone des susdits mariés CONDAMIN et GIRARD décédées hier successivement quelques heures après leur naissance et leur baptême ont été ensevelies ensemble dans la même bière ou cercueil dans le cimetière et par moi soussigné curé de Tartaras le dix sept janvier mil sept cent quatre vingt deux en présence dudit CONDAMIN leur père et d'Aimé PALLUIS parrain de la première qui n'ont signé pour ne savoir de ce enquis.
AUQUIER Curé.
(Photo 348)

 

NOTES :

(1) Pasteur (1822-1895) ne disait-il pas que l'on buvait 80 % de ses maladies ?…

Marc ROCHET